« J’aime que mes pièces se rencontrent les unes les autres, comme des êtres vivants ou comme on compose un jardin ». C’est pourquoi Gilles Vendran donne de l’importance à la composition de ses œuvres autant qu’il s’applique à penser à leur agencement dans l’espace. Une manière d’explorer les lieux qui accueillent son travail et de le révéler aux spectateurs. L’artiste les invite à déambuler dans l’espace et dans son travail. Il en était ainsi dans son exposition « Dahliailhad » à la galerie Du Bellay près de Rouen. Sur plusieurs moniteurs on voyait l’artiste qui cherchait à avancer sans sortir du cadre. Pour cela il avait placé à côté de la caméra qui le filmait, un écran de contrôle qui lui renvoyait son image en temps réel sous une lumière aveuglante. La vidéo s’intitule Repère. Ailleurs, dans une salle à moitié cloisonnée, une vidéo-projection présentait un grand arc de cercle lumineux qui bougeait, tremblait, sortait légèrement du cadre. Rien de plus. Seulement, si on regardait de plus près, il ne s’agissait pas du mouvement de l’objet mais de celui de la caméra qui avait filmé en plan rapproché, la lumière d’un lampadaire immobile. L’œuvre s’intitulait Vue. Elle inversait le mouvement de la caméra, agitée par l’extrême grossissement du zoom qui tentait de se focaliser sur une image fixe et lointaine. À côté, affiché au mur, un poster en couleur : l’image parait mal cadrée, il s’agit en fait d’une photo représentant la jonction de deux posters punaisés côte à côte. Plus loin, Gilles Vendran a entièrement recouvert une salle de papier peint représentant une forêt de thuyas créant un environnement vert violacé, sombre et apaisant à la fois. Vendran insuffle une nouvelle vie à des œuvres dont il sait qu’elles poursuivront leur « existence » dans l’espace de l’exposition, en relation avec d’autres œuvres, grâce aussi au regard, aux relations que le spectateur établira avec elles, aux associations mentales et visuelles. En cela, cette exposition me parait exemplaire du travail qu’entreprend l’artiste depuis une dizaine d’années. Tout comme une œuvre, plus ancienne, qu’il n’a jamais sortie de son atelier et pourtant déjà montrée. En photo, et même en vidéo. On voit une projection diapositive. L’image est épurée, une petite fille à une extrémité montre du doigt l’horizon et ses habitations minuscules, puis quelques poteaux électriques, en ligne. Un champ de blé, coupé à ras, et le ciel.
Mais un élément fait basculer l’ensemble dans une atmosphère onirique puisqu’impalpable, intermédiaire, extrêmement matérielle et immatérielle à la fois. Vendran a su créer un univers en plaçant uniquement un spot jaune irradiant intensément l’angle droit de la projection et subtilement le reste de l’image. Et, au-delà d’un astre matérialisé simplement, le spot renverse la perception de l’œuvre et des matériaux qui la composent, tout en la renforçant. C’est là tout le talent de Gilles Vendran. Du moins ça l’était. En un éclair, le temps de relire ces notes, d’écrire quelques uns des textes de cette publication, Gilles Vendran s’était donné la mort. Doit-on dire que son œuvre en est changée ? Le trouble – et plus encore – en tout cas, doit être dit. Il est profond.