Paul Beaudoin

L’atelier de Paul Beaudoin est un capharnaüm où s’amoncellent des objets en tout genre. Bicyclettes, parasols, bassines, moteurs, chaises, chaussures… abîmés ou abandonnés. Une quantité d’objets et d’outils plus que des œuvres. Mais c’est à partir de tout cela que Paul Beaudoin fabrique des dispositifs insensés, des machines « inutiles d’intérêt public » selon ses propres termes : machine à faire des ronds de fumées, parapluie chaussé, machine à faire courir un bruit, une autre à composer et à servir des martini-gin, ou encore celle à « faire des pieds et des mains ». Tout cela construit à partir d’objets qu’il récupère ou qu’il achète parfois. Paul Beaudoin insiste, non sans ironie, sur l’intérêt public de ses machines, bien plus que sur leur inutilité. Ce terme, comme celui qui le stigmatise en « mécano poète » a été inventé par la presse. L’artiste se délecte dans la mise en œuvre de projets rêvés, dans la réalisation d’idées saugrenues. « L’intérêt public » est là : dans le partage et la mise à disposition d’objets poético-brindezingues. À quoi pourrait bien servir une machine à faire des ronds de fumée parfumés ? L’artiste raconte d’où lui est venue cette idée : un peintre du Havre, médecin à la retraite et écrivain original, organise des lectures dans des cafés littéraires. Il demande un jour à Paul Beaudoin s’il pourrait emprunter son engin pour y injecter du gaz hilarant. Ainsi, les gens riraient pendant la lecture de ses textes !…

Encore un exemple « d’intérêt public ». D’autres sont simplement d’étranges instruments de musique, comme la machine à faire courir un bruit. Paul Beaudoin la décrit ainsi : « c’est un dispositif qui permet d’émettre une ondulation sur un câble. Comme on peut le faire avec un fouet ! Le câble fait cette ondulation « zouuu » et j’y ai accroché des cuillers tout le long. Si bien que cette machine fait « tacatacatacata… ». Et à l’aide de gamelles et d’un peu de gymnastique pour les placer sous les cuillers ou à côté, cela fait des « chtacata ching chtoc bloum ». Mais tout cela est modulable. » Sous des airs de bidouilleur un peu fou, Paul Beaudoin sait très bien ce qu’il fait, et maîtrise les différentes techniques dont il a besoin. Au détour de la conversation, j’apprends qu’il a été architecte pendant douze ans. Récemment et au moment où ça marche le mieux, il décide de tout arrêter, parce qu’il ne veut pas continuer à travailler dans une frénésie aberrante. Il préfère l’exaltation que lui procure l’invention et la fabrication de ses machines insolites. L’artiste imagine des objets, tout le temps, et les produit souvent. Il m’avoue qu’il en est arrivé à une conclusion étonnante : il a l’impression d’être drogué continuellement et naturellement, et sous l’effet de stupéfiants sans jamais en avoir pris. Son imagination est foisonnante, ses émotions exacerbées, et l’envie de les partager encore plus grande.