Docteur Courbe

Docteur Courbe

Blanche bien sûr, équipée comme il convient à une ambulance, avec en plus le matériel de consultation du Docteur et une régie vidéo intégrée, l’Artiomobile (il y en a eu trois jusque là, la dernière datant de 2003) est l’un des instruments d’une stratégie artistique propre, fondée selon Courbe sur un « mimétisme décalé de l’univers médical ». Il y a un sociologisme joueur dans cette manière de déplacer les codes professionnels et les usages sociaux, de pousser le jeu de rôle jusqu’à une logique calmement décervelée, tranquillement carnavalesque. Mais la clownerie se retourne finalement et pince-sans-rire, devient l’affaire d’une pertinence grinçante : la mascarade déborde la blague de carabin pour proposer une relecture des pratiques de la médecine comme du monde de l’art. La mise en scène de l’artiste dans son rôle de docteur le dote de la force du bouffon : car celui-ci en incarnant un personnage, en faisant porter sur lui-même une bonne part de la théâtralité, en assumant le carnavalesque dans sa propre identité, assoit sa force de trouble. Autoportraits ; auto-fictions ; actions sur le terrain (ainsi Courbe s’ingénie-t-il à forcer les portes du monde médical, tentant d’imposer sa médecine pour le moins parallèle dans le monde scientifique, se confrontant dès lors à la réalité du pouvoir médical ; mais aussi met-il sa compétence de blouse blanche au service du monde de l’art, en se tenant à la disposition des artistes à toutes occasions de concentration artistique : vernissages, colloques, festivals et biennales). Manipulation d’image, de signes et d’objets ; édition d’images : tout cela en fait en effet un artiste « mix- media » ainsi qu’il se définit, puisqu’il n’a pas d’autre médium que ce jeu de rôle, que ce simulacre poussé jusqu’à n’être plus – ou plus seulement – un jeu.

Si l’invention du Docteur Courbe est de donner une forme de légitimité à la figure de l’intervention artistique et de l’artiste lui-même en docteur, il s’assure par la cohérence de sa proposition d’une autorité symbolique qui ne se vide pas d’être évidement jouée. C’est in fine ce jeu de rôle lui-même qui constitue son médium, assez puissant pour lui assurer des occasions d’interventions très nombreuses et dispersées, dans les réseaux habituels des pratiques de la performance mais aussi sur bien d’autres terrains de l’intervention d’artiste. Alors que le burlesque a retrouvé un crédit sur la scène artistique, les diagnostics du Docteur Courbe ont leur place, en proposant des thérapies par le rire, même si bien souvent, il s’agit d’un rire qui grince, renvoyant à l’ordinaire du monde contemporain, à la fragilité de l’enveloppe de chair, et à son possible maintien à coup de machine, à sa réparation à coup de prothèses, à sa mutation sous l’effet de l’AGM (l’art génétiquement modifié). Le médecin et le bouffon font le bien. Mais ils arrivent en général quand cela fait mal.

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