Benoît Casas

Benoît Casas

Peintre, Benoît Casas l’est certes depuis longtemps. Étudiant aux Beaux-Arts de Caen déjà, il travaillait sur tableau. Mais pas sur des tableaux, comme s’il s’était agit de produire des objets les uns après les autres, dans une accumulation dénombrable de pièces. Non : entre 1992 et 1996, Casas a peint et repeint toujours le même tableau. Et celui-ci s’est peu à peu empâté, portant les couches successives d’un travail régulier, jusqu’à ce que l’accumulation elle-même commence à déformer la surface du tableau. À chaque étape, à chaque état, l’artiste a saisi une réalité photographique du travail, avant de faire disparaître dans le corps de la peinture l’instant décisif qui fait le tableau, aussitôt avalé dans une mémoire des œuvres précédentes. Les états successifs constituent l’œuvre, dans leur diversité. Car le sujet de la peinture étant pour une large part la peinture elle-même, les états ont eu une grande liberté : tantôt relevant d’une abstraction gestuelle renouvelée comme dans un journal intime ; tantôt recueillant un écho voire une reprise d’une image, d’un signe rencontré par l’artiste, ou encore d’une référence. Quand il intitule une exposition de 1996 au CAC de Basse-Normandie « Le dernier tableau », Benoît Casas prépare un passage : il est bien sûr conscient de la référence historique, quand Taraboukine prononçait en août 1921 la conférence semblablement intitulée « le dernier tableau ». Il joue très consciemment aussi avec la méditation bien connue de Balzac sur la peinture qui met en scène sous le titre Le Chef-d’œuvre inconnu le peintre Fernhofer. Mais prenant au pied de la lettre, sans pathos, l’idée de dernier tableau, l’artiste va faire tableau rase de sa propre histoire accumulée en ponçant la masse peinte, remettant à zéro cette toile. Et abandonnant pour quelques années, entre 1997 et 2001, la moindre pratique de peinture. Mais l’esprit spéculatif de l’artiste, essentiellement redéployé pendant ce temps sur une activité de lecture et bientôt d’édition, revient au tableau par l’ordinateur. Renouant avec une pratique programmée de la peinture, Casas se fixe pour produire ses « peintures numériques » le rythme quotidien (ou du moins« le plus quotidien possible », note-t-il) et le temps limité d’une heure d’où la dénomination d’ohp. Mêlant à leur tour écriture abstraite, signes et effets propres aux logiciels d’image numériques, effets eux-même empruntés par analogie aux gestes de la peinture, voilà des peintures qui se veulent « sans qualité » (comme Musil peut entendre l’homme), sans aura, à la fois mentales et rétiniennes, approximatives, exploratoires, bigarrées, urgentes, faites à la fois de dissonance et de vacarme, selon les qualifications dont l’artiste dote son travail. Et qui demeurent à un point d’équilibre entre désinvolture (et ohp ! dit Casas) et maîtrise, entre divagation et inspiration, qui fait de ces tableaux des objets singuliers, paradoxaux à être si picturaux en somme, alors que la peinture n’y est presque pour rien.

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