Bernard Chappuis

Bernard Chappuis

C’est finalement de la peinture que le travail de Bernard Chappuis se rapproche sans doute le plus : la peinture sans la matière, sans la couleur, mais avec toutes les possibilités de donner à voir une image mentale. D’un stock de photo de modèles – nus féminins apparemment classiques, encore que les poses légèrement décalées ou inattendues teintent d’un érotisme ambigu les images —, Bernard Chappuis a tiré ses figures de fées. Mais c’est ensuite par un travail de composition qui tient de l’invention picturale et du montage du cinéma qu’il produit le propre de ses images : cette atmosphère tour à tour gothique, tragique, pittoresque, théâtrale et mystérieuse que produit son image de synthèse. On se souviendra alors qu’au XV e siecle, pour parler du secret religieux, était né un genre qui portait le nom de Mystère, qui mettait les énigmes de la religion à portée du peuple et des non- initiés. Il en va ainsi de ces images, qui paraissent révéler des univers inconnus et étranges, tout en ne cachant pas qu’elles sont nées dans un esprit du XX e siècle : car ici, un sacré d’inspiration lointainement druidique croise avec le style Heroic Fantasy des comic strips américains des années 60 repris dans d’autres univers, bandes dessinées de science-fiction ou par l’iconographie de la culture Rock des années 70.

Le mot d’image de synthèse prend ici tout son sens, tous ses sens : si l’on peut qualifier ainsi les Fées de Chappuis, c’est bien sûr au sens formel de leur production par ordinateur mais aussi au sens de la synthèse de culture qu’elles actent. Dès lors, l’étrangeté des espaces et la bizarrerie des symboles apparaissent comme un jeu avec les savoirs et les icônes contemporains. La théâtralité des images, leur mise en scène d’un baroquisme insituable permet de convoquer, entre fascination et dérision, entre souvenir d’une haute culture symbolique et principe d’indifférenciation moderniste, des pans d’un imaginaire libérateur, où se croisent phantasmes adolescents et réminiscences d’iconographie historique, campés dans les corps sensuels de chimères iconiques. Aussi, avec sa singularité formelle et son baroquisme aux références mêlées et emmêlées, de Lewis Caroll au Villiers de l’Isle-Adam de L’Ève future, de la BD de Druillet à un univers cinématographique à la Blade Runner, cette galerie de portrait de fées se pose aux marges des arts plastiques, de l’album privé, de l’illustration, laissant à l’image inventée son entière puissance d’évocation, son étrangeté de conte.

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